Dans le marigot Imprimer
Mercredi, 11 Novembre 2009 02:17

Il y a la maison en bois et sur pilotis, un hamac, et la mare. Et dans la mare…

Nous sommes à Rio Dulce, petite bourgade animée du Guatemala près de la côte caraïbes. La ville s’étire le long du fleuve du même nom qui se dilate par endroit pour former des lacs immenses peuplés d’oiseaux, de nénuphars et de mangroves. Et c’est justement dans une mangrove que se trouve notre bungalow. Est-ce un choix judicieux ? Car qui dit eaux stagnantes, dit également moustiques et nous y sommes assez sensibles. Mais contre toute attente, la zone n’est pas infestée et nous n’avons pas à souffrir de la présence de ces insectes sanguinaires.

L’accès au bungalow se fait, soit par la terre à partir de longues passerelles en bois au dessus du marécage, soit par le fleuve avec une « lancha » (une lancha est une barque plus ou moins grande, avec ou sans moteur, avec ou sans toit, avec ou sans gilet de sauvetage, avec ou sans capitaine. En avoir ou pas ? That is the question).

La vie ici aurait pu s’écouler paisiblement si Carole et Ramy n’avaient pas eu la (bonne) idée saugrenue de jeter un surplus de spaghettis bolognaises dans le marigot au bord du bungalow et où trainaient des petits poissons argentés. Quelques minutes après ils étaient cent, puis mille à apprécier la cuisine italienne de Carole, par ailleurs délicieuse. Des plus gros poissons accourraient (c’est une image) pour se tailler une part du gâteau, tant et si bien que rapidement toute trace de pates et de sauce à la viande avait disparu. Les plus voraces des bestioles de la mare étaient des petites tortues d’eau qui n’hésitaient pas à attaquer les autres pour protéger leur butin.

Devant ce foisonnement de vie et malgré la nuit tombante, Ramy et moi avons improvisé une partie de pêche sous les regards incrédules du reste de la compagnie. Une petite branche flexible, un fil, un bouchon, un hameçon, du pain comme appât et le tour était joué. Nous avons partagé la même canne et nous sortions les prises à tour de rôle. Sous la lumière d’une lampe torche, les petits poissons s’étaient presque tous volatilisés pour céder la place à une autre faune : plus gros poissons rayés de noir, poissons chats dont la taille de certains était un peu disproportionnée par rapport à la hauteur d’eau, grosses crevettes d’eau douce, et toujours les tortues de plus en plus nombreuses. La lampe nous donnait un réel avantage car cela nous permettait de choisir nos prises. A contrario, la lumière attirait les tortues toujours aussi voraces, tortues qu’on aurait voulu à aucun prix prendre à l’hameçon. Nous avons réussi à pêcher chacune des espèces citées, y compris une tortue prise à l’épuisette par Ramy, pour les placer dans une glacière; vivier de fortune où tous restèrent quelques temps en bonne intelligence (aucun poisson ne fût mangé par un autre).

A un moment une énorme tortue alligator (quand je dis énorme, documentez vous sur les tortues alligator et vous comprendrez) passa au milieu de la mare. Ramy sauta alors sur l’épuisette et tenta de capturer le monstre. Peine perdue, et il était à deux doigts de piquer une tête dans la vase. A l’heure du dîner on s’était amusé comme des fous et on a relâché toute la ménagerie, avec le regret de n’avoir pas fait frire les crevettes qui paraissaient comestibles.

L’histoire aurait pu s’arrêter là mais la suite est autrement délectable. Forts de l’avantage numérique nouvellement acquis, nous avons décidé (Ramy et moi) de publier un tableau des prises depuis le début du voyage et sans vraiment de concertation avec Luc et Willy. Aussitôt c’est la guerre, on crie au scandale, à l’escroquerie, au crime de lèse majesté, c’est une honte de pêcher dans une mare, avec de la lumière en plus, c’est du braconnage, ça ne se passera pas comme ça ! (à leur place, je crois que j’en aurait fait autant).

Aujourd’hui encore à l’évocation des faits nous en venons aux mots, à défaut d’utiliser les mains Sourire. Toutes les histoires de poissons sont prétexte à raillerie et le mot « marigot » est sur toutes les lèvres. Rassurez vous, ces joutes verbales sont principalement là pour donner du piment à nos conversations de pêcheurs.

Malgré tout le tableau est publié.

Le concours de pêche est maintenant vraiment lancé et tous les coups sont permis.